dimanche 23 novembre 2014

Le Roi de l'Univers


 Grâce à toi Seigneur Jésus Christ Roi de l'Univers

La fête du Christ Roi clôt le cycle de l’année liturgique. Toute l’année les chrétiens ont célébré les grands moments de la vie de Jésus. Lors du dernier dimanche de l’année, ils sont invités à se tourner vers le Christ roi de l’univers et juge de l’humanité. Le texte qui est lu ce dimanche est le texte du jugement dernier : "J’étais nu et tu m’as donné à manger, malade et tu es venu me voir…". Le royaume du Christ vivant est un royaume d’amour.


Christ roi, icône de l'église grecque orthodoxe de Miskolc, Hongrie




" Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. 
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : 
il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche. 
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. 
Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ; 
j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi ! '
Alors les justes lui répondront : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu...  ? tu avais donc faim, et nous t'avons nourri ? tu avais soif, et nous t'avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t'avons accueilli ? tu étais nu, et nous t'avons habillé ? 
tu étais malade ou en prison... Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ? '
Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. '
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : 'Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. 
Car j'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'avais soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ; 
j'étais un étranger, et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité. '
Alors ils répondront, eux aussi : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? '
Il leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. ‘
Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25,31-46. 





Le Jugement dernier Fra Angelico. Tempéra sur bois. 1435 . Florence




Une étrange royauté que celle du Christ Jésus qui se démarque des modèles humains passés ou présents... Jésus n'a jamais revendiqué le titre de roi terrestre : " Ma royauté ne vient pas de ce monde ". Il est venu pour servir, non pour être servi. A Pilate qui le presse de questions, Jésus répond : " Tu l'as dit, je suis roi..." en précisant naturellement de quelle manière, ce qui ne fait qu'accroître la perplexité du procurateur.

L'évangéliste Jean nous fait percevoir l'aspect paradoxal de cette royauté du Christ en présentant les événements de la Passion comme un cérémonial inédit d'investiture. Jésus est revêtu d'un manteau de pourpre ; il est couronné d'épines et assis sur une estrade. La croix est le lieu de l'élévation où Jésus "attire tous les hommes à lui" (Jean 12, 32).

Quelle tentation dangereuse pour l’Église de tous les temps de se compromettre avec le pouvoir politique pour mieux promouvoir le règne de la religion !

Un royaume de fils
Le Royaume du Christ ne " vient pas de ce monde ", mais il est au cœur de ce monde. C'est le Royaume de l'intériorité : " Le règne de Dieu est parmi vous " (Luc 17, 21). 
Ce Royaume n'est pas habité par des sujets, des soldats, des fonctionnaires et une cour, mais par des fils. Les " fils du Royaume ", ainsi que Jésus les nomme, sont ceux qui cherchent la vérité, ceux qui prennent son chemin, les bénis du Père proches de leurs frères. 
C'est un "royaume d'amour, de justice et de paix", comme le dit la préface eucharistique.

Un peuple de frères
La porte du Royaume s'ouvre pour nous dans le baptême et les sacrements. Mais l'entrée effective n'est pas à chercher seulement dans nos églises ou dans le secret de notre prière. Elle s'opère aussi dans le concret de notre vie, dans le vif de notre actualité traversée par ses misères et ses espoirs.
Le Royaume est présent et en construction dans chaque écoute patiente, chaque sourire encourageant, chaque fardeau partagé, chaque regard respectueux et aimant, chaque geste de paix et de réconciliation... 
Le passeport en est l'amour et le service au nom du Seigneur Jésus. Nous sommes les ambassadeurs de ce Royaume...
Le trésor du Royaume, ce sont les pauvres et les humbles ; ce sont tous les êtres humains pour lesquels le Christ Jésus est venu servir et donner sa vie.

Texte : Evangile : Matthieu, 25.31,46 - Commentaire : Croire.com

lundi 17 novembre 2014

Le sel de la Terre


Grâce à Wim Wenders et à Sebastiâo Salgado  

Je viens de voir Le sel de la Terre, le film hommage de Wim Wenders au grand photographe brésilien Sebastiâo Salgado. Ce film magnifique est dû à l'humilité d'un homme, Wim Wenders, qui s'est effacé et ainsi élevé pour admirer un homme et une femme : Sebastiâo Salgado et son épouse et alliée de toujours Lélia Deluiz. Je voulais pour vous inciter à voir ce film séance tenante vous présenter quelques extraits et y ajouter quelques mots, mais il y a des vivants si admirables que l’on ne peut que chanter sa joie de les connaître, et, avec Wenders et Verhaeren, admirer en eux le Don incommensurable que nous fait la Vie.  


Sebastiâo Salgado au Brésil.




Sebastião Salgado a grandi au Brésil dans la ferme familiale entourée d’une forêt proche de l’océan, un lieu d'enfance qui était pour lui le Paradis. Devenu docteur en économie, il s’amuse avec l’appareil photo de sa jeune épouse et se découvre un don pour la photographie. Renonçant à une carrière d’économiste, il se lance dans la difficile profession de photographe et se met à parcourir la Terre entière en tous sens pendant plus de quarante ans pour photographier, comme personne ne l’avait fait avant lui, les innombrables victimes oubliées des guerres, des génocides, des famines et des exodes. Il publie dans les grands magazines ces témoignages irréfutables de l’injustice, de la folie et de la cruauté démoniaque dont les humains cupides sont capables à l'encontre de leurs semblables. 






Les photographies de Sebastiâo Salgado ne constituent pas seulement un volumineux dossier d’archives et de preuves accablantes contre la Barbarie de notre temps, elles sont aussi des oeuvres d'art. C’est-à-dire des images vraies, qui ne tombent pas, comme a pu le dire, dans une esthétisation complaisante de la souffrance humaine, mais qui, tout au contraire, rendent visible et sensible la beauté originelle, la beauté nue, indicible et invisible, de toute personne humaine victime de l’inhumanité qui voudrait la rayer, la nier. Car les images bouleversantes de ce voyant nous révèlent ceci que la dignité d’une personne ne peut être niée ni même effacée par une autre même si celle-ci parvient à détruire son corps. 
Oui, la dignité impérissable de l’être humain la photographie peut la préserver à jamais. 
Comment ? 
Salgado ne veut pas être, comme la plupart des photographes de presse, un témoin objectif, un spectateur neutre, voire même indifférent, des drames humains et des personnes qu'il rencontre. Il se veut au contraire en  profonde empathie avec les gens vers lesquels il va, et avec lesquels il vit pendant des mois parfois, pour partager leurs conditions de vie, afin, dit-il, de se rendre digne de recevoir leur image. Ainsi, pour Sebastiâo Salgado, un portrait digne de ce nom ne peut se faire qu’à deux : une personne qui donne son image à une autre personne, c’est-à-dire un vivant qui, dans le dénuement et le plus grand péril souvent, donne son image à un autre vivant qui s’est rendu digne de voir cette image, de la recevoir et de la donner à voir à d’autres. 



Nous touchons ici au mystère de la vie dont tous nous vivons, nous entrons dans le coeur invisible de la vie qui nous donne à nous-mêmes en nous donnant les uns aux autres en elle, en son Coeur d’accueil, dont un autre Nom est le Royaume. Car ce qui se donne et se reçoit dans le don de soi, dans le don de sa vraie image à l’autre, ce qui s’éprouve dans l’offrande de notre dénuement à la vue de celui qui nous témoigné son amour, et par lui, à la vue de tous ceux qui pourraient nous en témoigner, c’est le Don de la Vie absolue qu’aucune puissance au monde ne peut effacer, qu’aucun néant ne peut nier. C’est à la Vie absolue, entendez éternelle, que nous nous donnons quand nous nous donnons les uns aux autres. La Vie qui la première nous a rendu digne d’elle, la Vie qui la première nous a appelé en elle, la Vie qui,  avant la création de ce monde, nous a aimés. La Vie qui vient et qui nous sauve sans cesse.   
   
Mais quel homme peut descendre aux enfers pour y affronter les puissances du néant quarante années durant sans éprouver une profonde mélancolie, sans reconnaître son impuissance à sauver ceux qu’il a aimé, ceux qui sont morts et dont il s’était rendu digne ?  

Sebastiâo Salgado, photographe au vrai sens du mot, après avoir livré combat si longtemps avec de la lumière contre les ténèbres était épuisé. Un temps, il désespéra de tout, de l'humanité et même de lui-même.




Mais l’épouse de sa vie, Lélia Deluiz, l’alliée de tous ses combats, était là auprès de lui, plus inspirée que jamais. Ensemble, au tournant du millénaire, ils reprennent force et courage pour se lancer dans un nouveau projet de vie, celui qui devrait tous nous animer : recréer le Paradis perdu ! Du moins commencer à le faire - ce qui est aussitôt y entrer.

Car, en vérité, tout n’était pas perdu sur Terre puisque près de la moitié de la planète Terre est restée comme aux premiers temps de la création : vierge. Et de cette part sauvegardée du paradis pourrait encore renaître la part perdue. Sebastiâo décide donc de montrer sa beauté aux hommes perdus. Ce fut Genesis, l’immense hommage photographique de Sebastiaô Salgado à la beauté de la Création. 

Tout n’était pas perdu non plus au Brésil, puisque le paradis de l’enfance de Sebastiâo, la ferme tropicale familiale, devenue un désert après cinquante années d’élevage, pouvait être reconstituée au prix d’un travail colossal : une reforestation totale. Ce fut Terra, le projet qui prouve que l’on peut recréer une forêt native en quelques années, au Brésil comme ailleurs, et qu’avec la forêt revivent aussi les sources, les ruisseaux, les points d’eaux, les oiseaux et tous les animaux du paradis dont l'homme a la garde. 

La suite à l'écran...


Vidéos et photographie: extraits du film Le sel de la terre, Wim Wenders. 2014
Texte : Robert Empain. 2014/11/15


dimanche 16 novembre 2014

Du communisme au capitalisme - Théorie d'une catastrophe


Grâce à toi Michel Henry 

Belle couverture pour le livre lumineux de Michel Henry, Du communisme au capitalisme - Théorie d'une catastrophe - 1990, traduit ici en anglais par Scott Davidson.  Michel Henry (1922-2002) est considéré comme le philosophe français le plus important de la fin du XXe siècle.  Sa phénoménologie de la vie a régénéré la philosophie, elle suscite et fertilise désormais un profond mouvement de renouveau de la pensée dans un nombre grandissant de pays et de domaines essentiels  -  la religion, l'éthique, l'économie, les arts, la médecine etc, - alors que les autruches volontaires qui nous gouvernent en ces temps de Crise persistent à l'ignorer et ainsi à méconnaître les causes de leurs échecs.  Voici la présentation de ce livre donnée sur le site officiel Michel Henry :


Du communisme au capitalisme
Théorie d'une catastrophe. O. Jacob, 1990 


L’effondrement des régimes dits socialistes ne fournit ici que le point de départ de l’analyse, aujourd’hui prophétique, des raisons métahistoriques de la crise qui est vouée à frapper durablement l’économie mondiale. Fort de sa grande étude sur Marx, M.H. dénonce la faillite de tout régime qui contrevient aux lois de la vie, c’est-à-dire de l’individu. Au-delà de la géo-économie, il s’interroge sur le destin de l’homme dont est niée la réalisation et finalement la valeur. Le but de cet essai ne réside nullement dans une dénonciation historique ponctuelle, il désigne sur un tout autre plan une aporie à valeur générale, celle qui est au principe de la société, de l’économie, du politique – ces idéalités inévitables, ces grandes abstractions qui cachent et souvent écrasent la réalité de l’individu. 

L’introduction expose le thème de l’essai : l’origine identique, en dépit des différences politiques, de l’échec des régimes de l’Est dû à une organisation rationnelle de l’activité humaine qui a abaissé l’individu et de celui, imminent, du libéralisme fondé à des fins de profit sur la force de travail, car il a lui aussi remplacé progressivement l’individu par un système d’abstractions : valeur, capital, intérêt etc. Des deux côtés, ce sont des lois mortifères qui régissent le monde.

Les chapitres I à IV se consacrent dans cette perspective à l’analyse du communisme. Marx avait désigné le travail vivant, sa force individuelle, comme origine de l’activité humaine – réflexion thématisée par M.H. in Marx II. L’individu crée l’économie parce que, submergé par son besoin, il œuvre spontanément à satisfaire son malaise, faim, froid, douleur, et participe ainsi à l’engendrement continu de la vie. Or il est contre nature de prétendre régir intellectuellement cette relation du besoin au travail. Certes l’individu n’est jamais seul, toute société est société de production et de consommation. Mais, à l’inverse des idées de Marx, les régimes communistes se sont construits sur une idéologie à base d’abstractions, Société, Histoire, Classe, substituant à la société réelle, faite d’individus réels, une société abstraite, au mépris de la réalité spécifique des individus considérés comme de simples produits de la société. Avec ce résultat, les lois, la planification ne produisent rien et le besoin se satisfait grâce au pillage, au trafic, à la violence d’une partie des individus qui lèsent ceux qui travaillent encore. La vie ne se maintient que sous une forme sauvage, aveugle.
Il s’est institué un régime policier fondé sur le ressentiment, la dénonciation, en vertu de l’idée que tout individu se définit par sa classe d’origine. L’histoire est devenue celle de la lutte des classes, notion dont se moquait Marx. Au nom de ce racisme social ont été liquidées des couches entières de la population. Ne demeurent que les droits théoriques d’une classe misérable et impuissante, livrée à la niaiserie intellectuelle et morale.
Or le fascisme n’est rien d’autre qu’une doctrine qui procède à l’abaissement de l’individu de façon que sa suppression apparaisse légitime, c’est-à-dire que tout fascisme contracte un lien essentiel avec la mort. En frappant sa victime, le bourreau fasciste veut anéantir sa singularité et cela pour amener la vie à se nier elle-même. En éliminant des classes, le régime communiste a donc nié « la densité ontologique de l’individu » (M.H.), contrevenant au principe d’égalité de la condition métaphysique de l’individu engendré dans la vie comme un Soi absolu. Abaissement qui entraîne la ruine de la société.

Que se passe-t-il d’autre part dans les régimes capitalistes qui semblent positifs, permettant le libre accroissement de l’action, le dépassement de soi ? Car ce que nous appelons le monde n’est que l’effet de la praxis qui le transforme et l’univers économique est coextensif à l’histoire de cette transformation : le capitalisme fait fond sur la force de travail des individus capables de produire plus qu’ils ne consomment.
Il y a toutefois à la base du système une double dénaturation. La première vient d’une impossibilité principielle, la rémunération adéquate du produit du travail, car l’investissement subjectif dans une besogne donnée, sa pénibilité, varie selon les individus, c’est-à-dire que cette force de travail échappe à toute évaluation. Aporie analysée par M.H. dans Marx II. D’autre part, le troc d’antan a été remplacé par un équivalent objectif abstrait, l’argent, valeur d’échange à l’état pur, idéalité économique qui permet la dissimulation d’une inégalité : dans l’échange du capital investi dans le production pour rémunérer le travail, le capitalisme tire sa richesse de l’exploitation, non payée et inavouée d’un sur-travail, source réelle de la plus-value, tout le processus économique reposant sur le travail. La vie des individus ne sert qu’à produire de l’argent, elle est éliminée au profit du développement illimité de la productivité. Or produire de l’argent, est démettre le procès réel de sa finalité vitale.
De plus la subversion actuelle vient de la mutation structurale de la production sous l’effet de la technique. Le procès économique est enrayé, il y a pléthore de biens, sans argent pour les acheter. D’où chômage, paupérisation, énergie inemployée génératrice d’angoisse. Le capitalisme qui a perdu sa référence majeure à la vie entre dès lors dans une crise permanente.

L’élimination de fait de l’individu vivant dans le système techno capitaliste rejoint ainsi la négation théorique de cet individu dans les régimes marxistes où elle détermine une conception du politique qui se retrouve dans les démocraties occidentales. Comme l’économique, le politique ne constitue qu’un double irréel de l’organisation spontanée qui lie entre eux les individus. Son acte fondateur repose sur l’objectivation d’intérêts estimés collectifs. Or l’affaire de tous est une idéalité. Ce caractère référentiel prive le politique d’une autonomie de principe. Le marxisme a occulté à double titre le sens fondateur de la vie : parce qu’il résorbe l’individu dans sa classe sociale et qu’il ne comprend la réalité que comme économique. Il y parvient d’autant mieux que pour lui l’individu n’est rien. Le seul moyen pour celui-ci de surmonter son insignifiance est d’acquérir un pouvoir dans le politique.

Dès que le politique passe pour l’essentiel, le totalitarisme, conséquence de l’hypostase de celui-ci, menace tout régime concevable. Le politique contient en effet ce qui s’actualise dans la révolution, moment où dans l’histoire s’ouvre une ère proprement politique, le concept chéri de « peuple » ayant la même vacuité ontologique que celui de « classe ». Comme il est impossible à tous les individus de gouverner, la démocratie leur a substitué des délégués et devient l’affaire de quelques uns, hypocrisie qui est le fait de tout régime. Seconde perversion, l’affaire générale – urbanisme, irrigation, enseignement, transports, justice etc. – relève non de spécialistes mais de l’incompétence du politique, incompétence qui culmine dans l’administration qu’il met en place. Le préjudice que le politique inflige à la vie est le même en tout régime, c’est la dénaturation de tout ce qui est vivant. La catastrophe est donc celle d’une double aporie.
La vie est ainsi refoulée de toute part. D’un côté le communisme est un rationalisme radical, le Plan est aux commandes. De l’autre un procès de production purement technique va faire qu’il n’y aura plus ni travailleurs ni salaires. Le rendez-vous fabuleux du communisme avec la démocratie ne serait-il pas celui de Samarcande, dans le conte célèbre, celui d’un vivant qui fuit aux antipodes la Mort, qui l’attend justement là ? Et pourtant, dit M.H., la Vie est la vraie Raison, qui sait ce qu’il faut faire et qui est le vrai fondement de l’éthique. 

vendredi 14 novembre 2014

L’Esprit de Fès


Grâce à toi Henri Joyeux et Tony Gatlif

Henri Joyeux est professeur des universités, praticien-hospitalier de cancérologie et de chirurgie digestive à l'université de Montpellier 1.  Il est également écrivain, conférencier, marié et père de six enfants. L'article de lui que nous publions fut écrit après qu'il se soit rendu en tant qu'intervenant au Festival des Musiques Sacrées de Fès en 2014.  

Tony Gatlif est réalisateur de cinéma devenu maître dans l'art de capter dans ses films l'émotion des musiques tsiganes, orientales ou soufies. Dans ce film, Sois heureux un instant, il rend hommage à l'œuvre du savant et poète Omar Khayyâm (11e siècle ) qui chante le réenchantement du monde, un thème qui fut celui de l'édition 2012 du Festival des Musiques Sacrées de Fès. 




L’art et la spiritualité au service de la santé


Par Henri Joyeux


La santé ne se résume pas à la santé de chacun de nos organes. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) précise bien qu’il s’agit de la santé du corps, de l’esprit et de la vie relationnelle. Être en guerre avec son voisin, son pays ou soi-même perturbe vite la santé. Les conséquences en sont multiples. Le stress agit sur tous nos organes, le tube digestif en priorité : l’estomac irrité jusqu’à l’ulcère, le reflux gastro-œsophagien qui brûle jusqu’au cancer, la rectocolite qui pleure le sang au goutte-à-goutte.

Ainsi les burn-out se multiplient dans toutes les professions et les familles.
Pour apaiser, réduire les tensions si puissantes de ce monde, point besoin d’aller très loin, à une heure et demie de Montpellier, en avion direct, low cost, vous voilà dans la ville jumelle, Fès, héritière de l’Andalousie médiévale où juifs, chrétiens et musulmans s’enrichissaient de leurs expériences et de leurs différences.

Pour la cinquième année consécutive, j’ai participé comme intervenant à ce magnifique festival qui s’améliore d’année en année. « L’Esprit de Fès », animé par notre grand ami Faouzi Skali [1], c’est une bouffée d’air pur dans le monde où règnent tant de brutes et d’ignorants inconscients.

Ce monde dit hyper-développé, orgueilleux et stupide, voit se développer à toute vitesse de plus en plus de maladies de civilisation : diabète, obésité, cancers et maladies auto-immunes, des rhumatismes à l’Alzheimer, sans parler des maladies psychiques qui envahissent les cabinets des psys. Évidemment, pas un mot de prévention au sommet de l’Etat. Il ne voit pas ce que cela pourrait lui rapporter en termes d’économies ou de réélection. Ses conseils de prévention ne sont que des vœux pieux. Priorité aux lobbies pharmaceutiques à la recherche de nouvelles molécules, de vaccins de rêve, pour tenter de sauver ce qu’il reste de la santé en promettant Alzheimer et Parkinson à tous les anciens et l’euthanasie quand vous ne servez plus à rien.

Priorité aussi aux lobbies des phytosanitaires, pourvoyeurs de pesticides toxiques qui poussent les états et l’Europe à interdire les remèdes naturels et plantes qu’ils ne possèdent ni ne maîtrisent, au détriment de la santé des agriculteurs qui ne sont plus libres d’utiliser les plantes naturelles et sauvages traditionnelles, à bon escient évidemment.
Priorité aux lobbies de l’agro-alimentaire qui ont détourné et cloné les semences au détriment des paysans et de leur liberté de semer ce qu’ils ont récolté, et nous formatent à consommer leurs produits pour nous “faciliter” la vie, au détriment de notre santé… et de notre porte-monnaie.
Comme si les comportements propices à une bonne santé n’existaient pas !

Au festival des musiques sacrées du monde, à Fès, vous êtes emportés dans un autre monde, où vous sont offertes la paix et la santé de tout l’être. Celles dont tous les peuples rêvent. Ils l’attendent !
Les musiques peuvent abattre les murs les plus tenaces de la peur, de la haine et de l’angoisse. Musiques du monde, hébraïque et chrétienne, arabo-andalouse, indienne, arabe du Maghreb et d’Iran, d’Afghanistan et du Kazakhstan, du Pakistan mais aussi de Chine, musique grégorienne et latino, euro-méditerranéenne, euro-sud-africaine et Sénégalaise sont le plus court chemin pour relier les cœurs. Un enchantement ! La musique révèle le monde. De par sa dimension spirituelle et universelle, elle est un appel à la transcendance, mémoire et aspirations communes au bien-être auquel chacun aspire.

Dès l’inauguration du 20e Festival de Fès 2014, c’est le splendide spectacle du Cantique des Oiseaux, à partir du conte mystique du XIIIe siècle de Farid Ud-Din Attar.
Comment la huppe un jour a décidé de réunir tous les oiseaux – nous-mêmes – pour les inviter à un long voyage, à l’issue duquel ils doivent rencontrer le Simorgh, le roi des oiseaux. Le spectacle inaugural grandiose conçu par Leila Skali fut un enchantement, avec ses Sept vallées du désir : la quête, l’amour, le savoir, la liberté, la solitude, la perplexité et l’anéantissement dans l’océan de l’amour. C’est bien l’aventure humaine qui nous est contée, celle de l’histoire de l’humanité en quête de sens dans des langages multiples… invitant à cheminer ensemble. Car le chemin est aussi important que le but.

Comme la cigogne apporte la pluie, signe d’abondance au Sahel, on apprend à Fès non pas à posséder la terre pour l’exploiter, mais à l’habiter. Et plus on est petit, plus on peut atteindre l’infini. Difficile de vivre sans savoir où l’on va ni d’où l’on vient.
À Fès, la parole est ouverte, bienveillante, accueillante, à fois spirituelle et concrète. La santé de tout l’Être est à l’œuvre. Nul doute que le jumelage de Fès avec Montpellier ouvre des perspectives pour ce festival de part et d’autre de la Méditerranée. L’Esprit de Fès rejoint celui de nos vieux maîtres montpelliérains, lorsque les médecins arabes se joignaient aux juifs et aux chrétiens pour aborder le corps malade. Cela à l’heure où, chez nous, la spiritualité est encore proscrite par l’Etat, au nom d’une laïcité étriquée qui paralyse les mentalités, resserre les cœurs, stimule et oppose les communautarismes et les familles.

C’est le retour trente-quatre siècles en arrière aux conservatismes des idoles palpables du veau d’or et de ce qui l’entoure. L’angoisse de l’homme de ce siècle cherche à être réduite, par le fric vite gagné – tous les moyens sont bons –, les addictions aux plaisirs éphémères, sucrés ou sexuels. Au bout du chemin, les maladies : surtout ne changez pas vos habitudes. Continuez dans vos comportements d’adolescents incultes, votre santé est prise en charge ! Le malheur c’est que cela ne comble en rien les profondeurs de notre être, en particulier lorsqu’il est confronté à la maladie et à la mort. Les causes de nos « maladies de civilisation » sont pour la plupart identifiées : des comportements consommateurs à outrance qui, de plus, peuvent se transmettre de génération en génération. L’épigénétique, c’est démontré aujourd’hui, peut actionner la génétique !
L’Etat ne sachant pas lui-même où il va, sauf à garder son pouvoir, diffuse cette fumée qui encombre corps et âme. Comment s’en détacher sinon en refusant l’intégration stupide au monde des affaires qui oblige à consommer et déglingue la santé ?

À Fès, on ne s’occupe pas tellement de son corps physique. La force de l’esprit de Fès, endroit unique au monde, est de s’occuper non plus de ses misères corporelles ou de leurs causes, mais de la partie de notre être enfoui, celle qui apaise tout le reste. Notre âme, si souvent exprimée par les meilleurs guides spirituels des siècles passés !
À Fès, nous sommes loin de penser comme ce chirurgien limité à ses dissections qui affirmait au temps de Napoléon qu’il n’avait pas trouvé l’âme sous son scalpel, ou comme Youri Gagarine, premier cosmonaute affirmant soviétiquement qu’il n’avait pas rencontré Dieu en tournant autour de la terre !

À Fès se rejoignent les grands noms qui nourrissent notre âme : Abraham et Moïse avec ses dix Paroles qui donnent le code à notre humanité, Joseph – vendu aux Égyptiens par ses frères – devenu Premier ministre de Pharaon, le persan Attâr, poète des oiseaux, Choaïb Abou Madyane El Andaloussi dit “Sidi Boumediène”, considéré comme un pôle du soufisme en Algérie et au Maghreb qui disait : « Quand la Vérité apparaît, elle fait tout disparaître ! » Évidemment, l’Emir Abd El Kader né près de Mascara, mort à Damas après avoir sauvé du massacre des milliers de chrétiens, le grand Afghan le Commandant Massoud, lâchement assassiné comme Martin Luther King, et enfin le grand Nelson Mandela, sans oublier d’une manière aussi lumineuse la grande Thérèse d’Avila et la petite de Lisieux.

Notre corps psychosomatique est plus sensible qu’il n’y paraît à tant de nourritures spirituelles. La santé de tout notre être ne peut se limiter à quelque organe ou cellules en trop… N’oublions pas que nous ne sommes pas qu’un amas de cellules, mais des êtres uniques et de relation, destinés au bonheur. Faites-le savoir autour de vous, vous en retirerez de la joie et votre santé n’en sera que meilleure.

C’est le message de l’Esprit de Fès.




Omar Khayyâm





[1] Auteur du magnifique livre L’ESPRIT DE FES – Ed. Langages du Sud 2014

[2] Sur ce sujet, j’ai écrit avec le pasteur alsacien Henri Bauer « Le Pasteur et le Chirurgien, en Quête du 1er Thérapeute » Ed. Rocher 2014

Texte : Professeur Henri Joyeux 2014
Film : Tony Gatlif 2012

mardi 4 novembre 2014

Le jardin retrouvé de ton Coeur


Grâce au Coeur du Vivant



Résonance métaphorique. Pour le Cabinet d'art thérapie. 1999


Cette image, cher lecteur, est une radiographie d'un coeur humain semblable à tous les coeurs humains, au mien comme au tien, qui ressemblent de manière troublante à un jardin ou à une clairière dans une forêt dont les arbres de sang se lancent vers le ciel ! 

J'ai utilisé cette image médicale, après l'avoir colorée en rouge sang, avec d'autres que j'avais également transformées légèrement, pour une série d'images d'anatomie poétique et spirituelle exposées au Centre médical Galilée à Bruxelles alors que j'y créais, en 1999, le Cabinet d'art thérapie.

Cette image est un symbole, mieux encore une grâce car elle nous révèle la voie que nous avons tous à suivre, la voie intérieure, la voie intime, la Voie du Coeur, la voie dégagée vers l'Amour où peut s'entendre la voix de l'Esprit-Saint qui conduit à la Vérité et à la joie retrouvée de la Vie.

«Le Cœur est  la définition la plus adéquate de l’homme.» écrit le philosophe Michel Henry en résonance parfaite avec toutes les Traditions spirituelles de l'humanité.  Ce que tu éprouves dans ta chair, dans ton cœur, c’est la vie.  

La vie ?  
Oui « La vie est le mouvement invisible et incessant de venir en soi, de s’éprouver soi-même, de s’accroître de soi... Enraciné dans la vie, l’art est une réponse pathétique (un éprouver) que la vie s’efforce d’apporter à l’immense Désir qui la traverse. Et cette réponse, la vie ne peut la trouver qu’en elle-même, dans une sensibilité qui veut sentir davantage, se sentir plus intensément… » La vie est ainsi la Force invisible (un Flux dira Nietzsche) qui veut toujours s’éprouver plus intensément et s’accroître davantage en nous à chaque instant.  
« Et l’art n’a d’autre but que de nous faire ressentir et d’accroître la vie et l’essence de l’art est la sensibilité » écrit encore Michel Henry. 


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Pharmacie poétique. Pour le Cabinet d'art thérapie. 1999

La vie a besoin d'art et de beauté tout simplement parce que la vie est belle, parce que rien n'est plus beau que la vie, parce que la vie désire aimer et être aimée et parce que sans elle il n'y aurait plus rien à aimer ni à désirer, comme le chantent les poètes depuis toujours. 

Voilà donc, en peu de mots, pourquoi les arts, tous les arts, procurent une nourriture aussi belle qu'indispensable à l'âme et au coeur des vivants.  

Voilà pourquoi les vivants désespèrent de la vie au point de lui préférer la haine et la mort lorsqu'ils sont contraints de vivre entourés de laideur, de bruit, de dégoûts, de pollutions et d'agressions de toutes sortes.  

Voilà encore pourquoi à mesure que les arts et la beauté sont exclus de la vie quotidienne de tout un chacun pour se trouver confinés dans des lieux réservés aux classes privilégiées et devenir l'enjeu de la spéculation internationale des institutions, des marchands et des mafias, les artistes doivent, là où ils vivent et travaillent, créer et rapprocher des oeuvres d'arts véritables de la vie quotidienne locale. 

C'est dans ce sens, et par exemple, que nous avions crée en 1999 le Cabinet d'art thérapie dans un Centre médical situé dans un quartier défavorisé en invitant artistes locaux, patients et médecins à y participer activement.  

C'est dans ce sens encore que nous proposions en 2000, aux artistes et aux responsables de Saint Gilles, une commune de Bruxelles, une manifestation alternative intitulée Une oeuvre pour mon voisin, qui invitait les artistes - plasticiens, poètes, comédiens, danseurs, musiciens, jardiniers, cuisiniers etc, - à entrer en dialogue avec leurs voisinages  ( commerces, écoles, hôpitaux, églises, maisons de retraite etc, ) en vue de transformer leur quartier, sur le mode du don mutuel, en un lieu d'arts vivants, de créations et d'échanges de vie permanent.
    

Angéologie. Reste. Pour le Cabinet d'art thérapie 1999


Textes : Carnets 2000 et 2010 de Robert Empain
Illustrations : Imagerie médicale poétique pour le Cabinet d'art thérapie de Robert Empain. 1999 à 2001